CHANTS D'UTOPIE

  

 

 



CHANT XXX. SAKHA. Ounouogha

Au pied de son bouleau, Ounouogha mange le fruit indéfendu qu’est l’amanite, qui délie l’âme. Revenue d’outrevue, elle est assassinée pour avoir dit : Tout est Bien. La pandémie de tout le peuple vient, au virus conformant les corps hominidés à la forme de leur âme recroquevillée. Les Enfants seuls sont épargnés.

CHANT XXVIII. NIPPON. Ono no Komachi

La poétesse Komachi accompagnée par un robot remonte espace et temps sur l’archipel de son pays. Futurs et origines du Nippon s’entretissant, elle rencontre un moine, des samouraïs, des transhominidés, jusqu’aux aborigènes Aïnous. Le cauchemar hominidé, machinisé, se fait furieux. Komachi et Aïnous rendent notre même Terre autre, se rendent sur une même autre Terre, notre Terre, mais autre car meilleure.

CHANT XXVII. TAMAZGHA. Dihya

Tous mes barbares d’aujourd’hui comme d’hier et de demain m’ont désigné : peuple barbare, peuple étranger. Dégénéré : peuple berbère. Mais je suis peuple libre, Amazigh, comme ma Dihya libre. Et quand déferlent les barbares qui nous nomment les barbares, toutes mes femmes, toutes, se jettent dans mes puits pour échapper à l’esclavage, au viol et au pillage. Puis mes hommes aussi, dans tous mes puits que j’ai creusés pour relier le haut au bas.

CHANT XXVI. OCCITANIE. Blanca de Laurac & Arnautz Daniels

L’Occitan est l’utopie de l’Occident fait occidécadent, depuis la fausse renaissance, la vraie malenaissance de l’occidécadence. L’Amour fondant, hors la puissance, la vie d’Occitanie, est occulté par l’empire du pire des zombies de roma et paris. Arnautz, le poète œuvrier le meilleur, chante Blanca. Jusqu’à ce que cessent : mille ans de palimpseste.

CHANT XXV. INDE. Palghat

Comme toutes les femmes warlies de la grotte à la hutte, Palghat peint. Depuis une poussière dans le temps, des hommes peignent qui éventent : leur art communautaire. Comme un bien pour un mal, c’est un mal pour un bien : Des vivants, en chaque lieu du globe en terre, voient dans l’art des Warlis l’art vers lequel l’utopie tend. Et les spores de l’art décelant l’âme se répandent, étouffent l’art abstrait des vies.

CHANT XXIV. YOUGOSLAVIE. Gavrilo Princip & Jelena Jezdimirović

La catastrophe envahissait la vie du monde. À la mauvaise nouvelle, succédait la mauvaise nouvelle. Au dysangile, le dysangile. Le globe en terre émettait une moindre lumière. Et le trou noir, qui tournoyait dès son début, se dit : MAINTENANT, C’EST FINI. Mais c’était sans compter sur Gavrilo et Jelena.

CHANT XXIII. SUÈDE. Stig Dagerman

Stig souvit, dans la détresse. Une espérance populaire vient peupler son abandon. Il cherche l’utopie, le lieu meilleur, dans l’anarchie. Mais la détresse est forte. Il cherche l’utopie, le lieu absent, dans le suicide. Suicidé, il se retrouve dans la 22ème dimension. Emanuel – Swedenborg – l’en extirpe. Il cherche l’Utopie, le Lieu des lieux, dans la mystique.

CHANT XXII. MEXIQUE. Comandanta Ramona

Le premier jour de 1994, au Mexique, le parti révolutionnaire institutionnel, la farce ! fête l’immonde mutation du monde et à l’image et à la ressemblance des égouts hominidés : l’avidité, la vanité. Aussitôt, les zapatistes invisibles se font par leurs passe-montagnes visibles.

CHANT XXI. SUMER. Aruru & Enkidu

Dix tablettes d’humus sont trouvées où est écrite la vie des multimillénaires Aruru et Enkidu, récit où se déploie, depuis le gros boum : l’hominisation, l’humanisation et la transhumanisation vers l’outrevie, après l’hominidé déluge planétaire.

CHANT XX. PALESTINE. Fadwa Touqan

Dans les temps arriérés, toute terre du globe était terre divise, était terre envahie. En Palestine, chaque matin l’enfant Fadwa était exclue par expulsion et de sa nuit et de ses rêves, par une alarme qui hurlait : Donne-nous aujourd’hui notre oppression de chaque jour : les coups portés sur Fadwa par les siens, les coups portés par l’ennemi sur Fadwa et les siens.

CHANT XIX. POLOGNE. Stanisław Przybyszewski

Dans les temps arriérés, un garçon polonais, Stanisław, est asservi à l’alternance entre le gouffre et le sommet – montagnes russes, cycle aux thymies. Jusqu’à l’apparition d’une peau du cerveau sur la peau du cerveau, cortex sur le cortex : ultracortex.

CHANT XVIII. SYRIE / FRANCE. Laylâ (la nuit) (debout)

La nuit migrante, de Syrie réfugiée à Paris, souvit pour travailler, travaille pour souvivre. Comme tous ses semblables – hominidés invertébrés – elle rampe. Dans sa cave, athanor, où elle dort, elle traverse un œuvre au noir qui la conduit à voir : la substance automatique régnant sur le monde. La nuit accouche, par son travail, de sa colonne vertébrale – enfin debout, devient Laylâ, sort de sa cave, et retrouve au dehors une foule hors des caves.

CHANT XVII. HOLLANDE. Antoni van Leeuwenhoek & Félix d'Hérelle

Antoni est drapier. Les microscopes, qu’il confectionne, le passionnent. Et sa passion dans son métier, voit le dedans de ses tissus, et de fil en aiguille, le plus au dedans du dehors, voit des animalcules, surtout des bactéries. Son grand ami Félix, piqué par une mouche, convainc un grand pays de devenir bactériophage, libéré de l’influence bactérienne.

CHANT XVI. BRÉSIL. Antônio Conselheiro

L’empereur Pedro II n’aime pas le pouvoir. Comme à tous les esclaves, son joug fait mal au cou. Il rejoint la forêt, les Guarani, qui recherchent la Terre sans Mal. Ils croisent Antônio, rené au désert, près de qui tous les pauvres s’assemblent. Les viles villes voient cela d’un œil mauvais, préparent l’extermination.

CHANT XV. ÉGYPTE. Synclétique

Dans des temps de grands troubles, Synclétique en colère, en tristesse et en crainte, laisse entrer dans sa maison des sales types par millions, sans visage, à la face de fausses pensées, qui l’asservissent. Jusqu’au jour où, respirant, elle dit le mot fait de silence. L’espérance de la veille était factice, car disparue sitôt parues : les ténèbres. Il est temps maintenant d’aviver l’espérance de veille.

CHANT XIV. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. Voltairine de Cleyre

Les animaux hominidés ont mécréé leur monde immonde et à l’image et à la ressemblance de leurs pires. Dix mille Amis Communs – dont Voltairine – clament le rêve général des actes libres nécessaires, et leur exil. Joseph, gouverneur de la ville mondiale, offre mille dollars pour chaque meurtre de vivant, vacancier qui prévoit dans le suspens des lois externes qui excentrent : la source du monde à venir.

CHANT XIII. ISRAËL. Debôrâh

Dans les temps arriérés, le peuple élu d’amis, extravagant, erre et se perd, et perd son élection, est soumis à un peuple lui-même soumis – à ’Îzèbèl. Après vingt ans, le temps vient pour le peuple d’amis : Sur le mont ’Èphraïm, la Juge Debôrâh s’est éveillée, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

CHANT XII. ESPAGNE. Teresa d'Avila & Juan de la Cruz

Dans les temps arriérés en Espagne, plutôt qu'avec la peur au ventre, Teresa naît le cœur au ventre. Mais est-ce elle vraiment qui est atteinte de situs ambigus ? ou n'est-ce pas l'hominité, loin d'être encore humanité ?

CHANT XI. RUSSIE. Sergueï Essenine

En Russie dans les temps arriérés, Sergueï dit, veut agir, l’ailleurs (le vrai ici) avec le là (le faux ici). Surgit : l’inattendue tant attendue Révolution. Les animaux hominidés sauront-ils cheminer en avant, ascendant ? ouvrir les portes d’avenirs ? accueillir l’événement de la possible immense idée mise en cité ?

CHANT X. TURQUIE. Elif Shafak

À Istanbul dans les temps arriérés, Elif dit haut ce qu’un homme dit bas. On l’emprisonne dans un cube où son geôlier, Nafs, la torture. Mais sur la paroi du cube, Elif dessine un cercle qui ouvre, traversé, sur un lieu sylvillisé.

BRUIT IX. NO HUMAN’S LAND. Un animal hominidé

En Utopie, Poggio trouve un numéricoscrit préhistorique, daté de 2015 selon le calendrier mort. Il propose à Johann Gensefleisch d’éditer ce fragment, témoin du feu compost merdone. Après lecture, le fera-t-il ?

CHANT VIII. FRANCE. Michel Eyquem de Montaigne

Dans les temps arriérés, la ville mondiale d’étroite réalité, formée de cubes, est en voie de pétrification. Michel Eyquem est atteint de lithiase, qui devient pandémique et transforme tous les animaux hominidés en cristaux.

CHANT VII. ARGENTINE. Roberto Juarroz & Laura Cerrato

Dans les temps arriérés, la révolution locale de l’an 2001 argentin s’accomplit par l’effet d’une révélation totale, planétaire, quand les eaux, les végétaux, se font psychédéliques – révélateurs de l’âme.

CHANT VI. ALLEMAGNE. Johann Gensefleisch zur Laden zum Gutenberg

En Utopie, Johann Gensefleisch (ou un avatar homonyme), qui apporta à l’occident il y a très longtemps une machine à exprimer, en trouve ici et maintenant une nouvelle à imprimer entre les lignes de lettres.

CHANT V. ITALIE. Dante Alighieri

En Utopie, dans une ville-sylve jadis rêvassée par Johann Valentin, Dante apprend la naissance de son enfant. Sa paternité est certaine, pas la maternité.

CHANT IV. ALLEMAGNE. Johann Valentin Andreae

Johann Valentin s’endort en forêt. Un monstre habitant son cerveau projette un cauchemar dans la salle de cinéma subcrânienne. Au tréfonds de la terreur, Johann s’endort au sein de son sommeil, rêve au sein du cauchemar, et projette sous le crâne du monstre son rêve alchimique d’Amour.

CHANT III. DELPHES. Théocléa

Baigné par la lumière gréco-calabraise de Pythagore, ce Chant dessine un Théâtre à venir, un procès de Connaissance, une cosmogonie, une évolution de l’amour depuis l’avant-hier jusqu’à l’après-demain.

CHANT II. PANOPOLIS. Zosimos & Myriam

En Utopie, Zosimos dans sa Commune affinitaire voit une inconnue, issue d’une Commune amie. Il la suit, aimanté, jusqu’à sa porte. Commence une violente nuit d’Amour et Connaissance, et de sexe et de gnose.

CHANT I. DAUPHINÉ. Louis Mandrin

Chaque matin, Mandrin poursuit avec son épuisette ses rêves sortis de son crâne, afin d’éviter les dégâts dans la ville mondiale d’étroite réalité. Un matin, l’épuisette se troue.

 

 

 

Brice Bonfanti
Brice Bonfanti (2009) Brouillons du Chant III. Théocléa
Brice Bonfanti